À quand la Journée du crétin ?
Je
ne sais pas s’il faut en pleurer ou en rire jaune. À Vangaindrano, une
jeune fille s’est fait dénuder (les habitants rapportent même un viol ou
une tentative de viol) par un groupe d’imbéciles en pleine foule. Et
ce, en plein concert pour marquer les festivités officielles de… la
Journée de la femme dans cette localité. C’est sans doute le genre
d’info qui ne paraîtra pas dans les médias officiels, de peur de faire
de l’ombre aux efforts de la Ministre de la population et du Système des
Nations unies pour sensibiliser la population locale aux droits de la
femme. Mais c’est le genre d’anecdote peur reluisante qui montre
pourquoi on a eu besoin du 8 mars 2014, des 8 mars précédents, et
pourquoi on aura encore besoin d’innombrables 8 mars à venir. « 8 mars 2014 : Encore un slogan – mais est-ce encore nécessaire ? » écrivait Mireille Rabenoro dans nos colonnes le 8 mars 2014. L’incident de Vangaindrano a donné la réponse.
En
parlant avec certains, je dis bien certains, en parcourant internet et
en lisant certains commentaires affligeants sur Facebook, on s’aperçoit
que beaucoup d’hommes sont gênés, embarrassés ou irrités par le 8 mars.
« On en fait trop »… « À quoi ça sert »… « Madagascar n’est pas l’Arabie
saoudite »… Autant de messages émanant d’une partie de la gent
masculine, la partie qui considère au mieux que tout va bien, et au pire
que la politique de l’autruche est la meilleure approche : ne surtout
pas parler des problèmes, ils disparaîtront d’eux-mêmes.
Le
débat « Femmes et développement » organisé par TV Plus et l’EISA a
permis à l’assistance et aux téléspectateurs de faire la connaissance de
Monsieur Alain Ranindrianoro, étudiant en sociologie à l’Université
d’Antananarivo. La thèse du jeune homme est simple (voir vidéo ci-après,
avec un curseur placé à la fin de l’intervention qui précède la
sienne) : le« mouvement de genre » initié par ceux qui soutiennent l’approche genre est un concept inventé qui risque de mener à une « déconstruction sociale »,
car elle vise à perturber un équilibre déjà existant au sein de la
société malgache. Par conséquent, de son point de vue, tout va bien en
matière de droits de la femme, et il n’est pas nécessaire de procéder à
des changements qui vont déséquilibrer le système social existant.
Autrement
dit, il faut fermer les yeux (et les grandes gueules). Fermer les yeux
sur les différences de salaire à compétence égale. Fermer les yeux sur
le harcèlement sexuel en entreprise. Fermer les yeux sur les cas de
viols comme à Vangaindrano ou ailleurs. Fermer les yeux sur les droits
de cuissage exercés par certains enseignants sur les étudiantes dans les
universités publiques et privées, soit pour les notes, soit pour
préparer une soutenance, soit pour valider un stage en milieu
hospitalier. Fermer les yeux sur le flagrant déséquilibre de
représentation des femmes dans la sphère publique. Fermer les yeux sur
les violences conjugales. Fermer les yeux sur le taux encore trop élevé
de mortalité maternelle, faute d’accès aux soins. Fermer les yeux sur
tout cela, de peur de déséquilibrer l’omertaambiante. Celle qui
permet, entre autres, à un pédophile notoire d’arriver au retrait de la
plainte des parents, et de se faire élire député de la IVème République.
Le
jeune Ranindrianoro est cependant assez sympathique dans sa tentative
de faire le plus ou moins intéressant devant les caméras, et on mettra
le contenu de son intervention sur le compte du jeune qui veut
s’affirmer en jouant le provocateur. On ne lui en voudra donc pas, et on
l’encourage même à continuer ses efforts pour exprimer ses idées, aussi
discutables soient-elles. Il est en effet tout à son honneur d’utiliser
cette émission télévisée comme plateforme d’affirmation de soi, et de
faire l’intéressant devant ses camarades et ses enseignants. Il vaut
mieux un jeune qui se cherche et qui assume son statut d’apprenti
intellectuel, quitte à faire des erreurs, plutôt qu’un timoré qui se
complaît dans la majorité silencieuse.
On
n’aura cependant pas la même indulgence envers d’autres qui versent
carrément dans le crétinisme chronique en élaborant des théories
foireuses. Ainsi, une collègue m’a transmis un texte tiré d’un blog, et
qui développe une compréhension très étrange de l’approche genre :
« Ces
programmes de féminisation de la société sont des programmes
d’intelligence sociale ayant pour unique but la réduction des naissances
par le célibat et l’homosexualité. Les femmes doivent mettre leur
procréation entre parenthèse pour jouir autrement dans la luxure de la
consommation individuelle ».
« Le genre et sa définition ont pour but de monter femmes et hommes les un contre les autres pour limiter les couples et ainsi limiter les naissances ».
Les partisans de l’approche genre désirent créer « des conflits inter-sexes » pour « faire de Madagascar un micro-modèle géant qui leur permettra de tester grandeur nature leurs idéaux malsains ».
« Le genre et sa définition ont pour but de monter femmes et hommes les un contre les autres pour limiter les couples et ainsi limiter les naissances ».
Les partisans de l’approche genre désirent créer « des conflits inter-sexes » pour « faire de Madagascar un micro-modèle géant qui leur permettra de tester grandeur nature leurs idéaux malsains ».
Il
est vrai que la démocratie et la liberté d’expression permettent à tous
de s’exprimer, ce qui inclut également la liberté de dire n’importe
quoi. Le texte cité ci-dessus tente de reprendre maladroitement dans le
contexte malgache les idées actuellement véhiculés en France par les
artisans de la polémique sur « la théorie du genre », polémique animée
par des milieux catholiques traditionalistes et des proches de
l’extrême droite. En lisant le paragraphe qui précède, on se dit
qu’outre la Journée de la femme pour lutter pour les droits de la femme,
il faudrait créer la Journée du crétin pour lutter contre lui.
bonne journée jpvcoolprod
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